COMME NUL AUTRE AVANT TOI

Après cinq ans de mariage, Audrey croyait son couple solide malgré quelques disputes et désaccords. Aussi, quand son époux lui apprend qu’il souhaite divorcer, c’est tout son univers qui s’écroule. Trompée et trahie, elle est cependant prête à lui pardonner, tant qu’il revient auprès d’elle.

Cela fait trois ans que la femme de Chris a quitté le domicile conjugal, le laissant seul avec leur petite fille. Mais depuis que celle-ci est réapparue il y a quelques mois en demandant le divorce et en réclamant la garde de leur fille, Chris oscille entre désespoir et colère. Et il est désormais hors de question pour lui de laisser une femme entrer à nouveau dans sa vie et risquer de le détruire encore une fois.

Prisonniers chacun de leur côté de leurs tourments conjugaux, ni Audrey, ni Chris n’envisagent une seule seconde de se lancer dans une nouvelle relation. Pourtant, lorsque ces deux cœurs écorchés par la vie se rencontrent, toutes leurs certitudes volent rapidement en éclats.

 

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Chapitre 1

 

                Jamais mon cœur n’a battu aussi fort dans ma poitrine. Pas même quand les lèvres de Clément ont effleuré les miennes pour la toute première fois. Et pourtant, ce premier baiser était digne des plus belles comédies romantiques. Tout y était : le ciel étoilé, la brise légère d’une soirée de juillet, de la musique douce provenant de la playlist de son téléphone et ses bras forts et rassurants autour de mon buste. Je me souviens encore de ses doigts dans mes cheveux et de sa tendre voix murmurant des mots doux et des promesses de bonheur éternel.

  J’avais vingt ans, Clément vingt-six. Après un an sans homme dans ma vie, le dernier ayant joyeusement piétiné mon cœur, j’avais sans difficulté succombé au charme et aux douces attentions de Clément Marquez. Deux ans plus tard, nous échangions nos vœux devant le Maire de cette ville du sud de la France qui nous avait vus grandir.

  Pourtant, ce soir, sept ans presque jour pour jour après cet inoubliable premier baiser, je ne peux m’empêcher de douter. Après tout, ça fait maintenant six mois que nous sommes séparés. Est-ce que nous allons réussir à recoller les morceaux, à donner un second souffle à notre couple ? Je veux y croire. Je l’aime tellement ! Je pense à lui à chaque minute, que dis-je ? à chaque seconde depuis qu’il a décidé de quitter la maison après cette énième dispute. Ce soir, nous avons rendez-vous dans notre restaurant préféré. C’est bon signe, non ?

  Un dernier coup d’œil dans le rétroviseur intérieur pour vérifier que mon maquillage est nickel, et je sors de ma voiture, les doigts serrés autour de l’anse de mon sac à main. La portière grince, comme d’habitude, mais cela n’a pas d’importance. J’adore ma vieille Saxo verte que je me suis offerte avec ma première paye. Elle me coûte cher en entretien, mais elle est pleine de souvenirs. Les virées en boîte de nuit avec mes copines, les mains baladeuses de mon premier grand amour sur la banquette arrière… Clément m’a demandé mille fois de me débarrasser de ce qu’il appelle mon “cercueil sur roues”, mais c’est hors de question. Ce serait un vrai crève-cœur.

  Ma portière verrouillée, j’inspire profondément pour chasser mon appréhension et traverse la rue en prenant garde à ne pas me tordre une cheville avec mes talons. Le restaurant est juste là, sur le trottoir d’en face. Sa façade de bois et de métal éclairée par de discrètes ampoules affiche tout de suite l’élégance des lieux. C’est un restaurant dont la réputation du chef n’est plus à faire. La toute première fois que Clément m’a invité dans cet établissement, c’était pour fêter notre première année de relation. Nous avions tous les deux été conquis par l’accueil adorable qui nous avait été fait et par le raffinement des plats. Nous avions pris ensuite l’habitude de revenir chaque début de mois, faisant de ce lieu notre bulle de bonheur culinaire. Depuis que Clément a quitté la maison, je n’ai pas remis les pieds dans cet antre de la gastronomie française, et ça me manque.

  Je m’approche lentement de la façade vitrée et jette un œil à l’intérieur. Il est vingt heures et les tables sont presque toutes occupées. Pourtant, je le repère en moins de deux secondes. Un sourire étire mes lèvres peintes d’une jolie couleur cerise et ma gorge se serre d’émotion. Il a réservé notre table habituelle.

  L’euphorie me gagne. Enfin nous allons nous retrouver ! Sa présence dans notre lit m’a tellement manqué ! Tout comme son mug rouge près de la machine à café, ses chaussons qu’il oubliait systématiquement dans la salle de bain après sa douche, sa sacoche sur le meuble de l’entrée, les clés de sa voiture accrochées à côté des miennes… Toutes ces petites choses du quotidien qui sont l’essence même de notre vie de couple. La maison est tellement vide sans lui. Si encore nous avions des enfants… Mais non. La vie ne nous a pas encore fait ce cadeau. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé !

  La rue est animée autour de moi, et pourtant je ne vois que lui. Sa posture, un brin nonchalante malgré sa silhouette athlétique, me tire un frisson. Peu de gens savent que sous son flegme apparent se dissimule une grande détermination et un caractère parfois volcanique. Je me concentre sur sa tenue. J’apprécie qu’il ait mis cette chemise bleu ciel. C’est celle que je préfère. Elle met en valeur l’éclat de ses iris clairs. Par réflexe, je baisse les yeux sur la longue robe rose poudrée que j’ai achetée pour cette grande occasion. Une petite folie au regard du montant inscrit sur l’étiquette, mais d’une telle beauté que je ne pouvais passer à côté. Je trouve qu’elle sublime mon décolleté et ma taille amincie par plusieurs mois de sport intensif. Clément ne va pas en croire ses yeux lorsque je vais me présenter face à lui. J’ai fait tellement d’efforts pour le séduire à nouveau ! Sous ma robe, j’ai enfilé des dessous sexy. De la dentelle noire, celle qu’il préfère. Je compte bien qu’il me les retire dans quelques heures, une fois que nous aurons remplis nos estomacs et que nous nous serons pardonné cette trop longue séparation.

  J’attendais cette soirée avec tellement d’impatience ! Depuis qu’il m’a appelé il y a trois jours. Je me souviens encore parfaitement de notre courte conversation.

« Salut, c’est moi.

– Salut… ai-je répondu, la voix étranglée. Je suis tellement contente que tu m’appelles. Tu vas bien ?

– Oui, très bien. Dis… il faudrait qu’on parle.

– Je crois aussi. On pourrait se retrouver à notre restaurant…

– Vendredi soir ?

– Oui, très bien.

– Je m’occupe de la réservation.

– J’ai hâte d’y être, ai-je soufflé, pleine d’espoir en notre avenir commun.

– Oui, moi aussi. »

  Puis il a raccroché. Ça a été bref, mais beaucoup moins froid que lors des appels précédents, lorsqu’il me contactait pour que je lui ramène des affaires chez ses parents, chez qui il était revenu habiter momentanément. Je suis confiante. Cette pause dans notre relation lui a sans doute fait prendre conscience que, malgré nos petits différends, il ne peut vivre sans moi.

  Je sors de mes réflexions lorsque je le vois observer sa montre et jeter un regard impatient vers la porte du restaurant. Je plaque un sourire sur mes lèvres afin de dissimuler mon stress et pénètre dans l’établissement culinaire. Un maître d’hôtel en costume noir et chemise blanche impeccable s’avance.

– Bonsoir, madame. Vous avez une réservation ?

– Je suis attendue par monsieur Marquez. C’est mon mari.

  L’homme passe derrière un comptoir, regarde un écran et pointe du doigt un nom.

– Suivez-moi, je vous conduis à sa table.

  J’ai envie de lui dire que c’est inutile, que je sais parfaitement à quelle table il m’attend puisque c’est toujours celle-ci que nous occupions lorsque nous venions, mais je me contente de le suivre. Nous contournons des couples et des familles attablées, et je ne vois que lui, son dos large et sa nuque que je meurs d’envie de caresser.

  Le maître d’hôtel s’arrête à sa hauteur, me désigne la table en s’inclinant légèrement et me souhaite une bonne soirée avant de repartir. Clément a levé la tête et me dévisage, interloqué.

– Audrey ? Mais… qu’est-ce que tu as fait à ton nez ?